Le soin militant à Saintes comme partout : un processus essentiel pour agir

Soin militant

Quand j’ai fait mes valises pour partir de la Loire-Atlantique, j’ai emporté mes livres, mon presse-agrumes et ma révolte. En arrivant à Saintes, j’ai découvert le pineau, les cagouilles et la Guillotine Saintaise. Rejoindre le Réseau de Résistance Citoyenne est, au même titre que l’obtention d’une carte d’emprunt à la médiathèque, une étape essentielle pour me sentir chez moi en territoire saintais. La préparation de cette rentrée sociale et citoyenne est d’autant plus importante pour moi qu’elle sera ma première à Saintes. J’ai donc eu le souhait d’y contribuer par le partage de quelques pensées sur le soin militant en regard des actions qui nous attendent.

Militer, c’est ne plus rien avoir à perdre ? Pas si sûr…

Quand j’étais adolescente, je me souviens de tous ces professeurs d’Histoire qui s’évertuaient à affirmer que si les révolutions avaient eu lieu, et notamment celle que la France a vécue en 1789, c’était parce que les gens, je cite, “n’avaient plus rien à perdre”.

Je ne m’étalerai pas sur les réels rouages de l’enclenchement d’un mouvement de révolte, car Mathilde Larrère en est une spécialiste qui en parle très bien. Par contre il me semble intéressant d’analyser et de réagir à ce que cette affirmation implique et comment elle peut impacter la posture militante.

Quand on n’a plus rien à perdre, a priori, cela signifie qu’on n’a plus rien à sauver, à conserver et donc à protéger. On peut foncer dans le tas et s’exposer à maintes formes de représailles, on n’en a que faire puisque rien ne peut nous toucher ou nous atteindre. Cela donne l’impression que pour devenir invulnérable, il ne faut plus tenir à rien. Ou alors, avoir des supers pouvoirs à l’instar de tous ces personnages de Comics sur lesquels on nous ressort des épisodes régulièrement.

Le soin militant, c’est avant tout se sentir en sécurité pour pouvoir agir

Alors quel est le lien entre un Sans-Culotte et un Superman (celui qui met sa propre culotte au-dessus de ses collants du coup) ?

Ce qui les lie selon moi, c’est leur rapport à leurs peurs, et c’est finalement de ça dont mes professeurs d’Histoire essayaient peut-être maladroitement de nous parler.

“Ne plus rien avoir à perdre”, cela peut vouloir signifier “ne plus avoir peur de perdre quoi que ce soit”. Et pour ne plus avoir peur de perdre quoi que ce soit, il n’y a pas seulement l’option de ne plus rien avoir (à perdre). Il y a aussi celle d’avoir réussi à mettre ce qui est important en sécurité pour ne pas avoir peur de le perdre.

Le soin militant est selon moi la démarche par laquelle on arrive à atteindre un tel degré de protection et de sentiment de sécurité qu’on peut envisager de se mettre en action :

  • D’une part sans avoir besoin d’attendre d’avoir tout perdu.
  • Et d’autre part sans risquer de tout perdre justement.

Le jeu du système : distiller la peur pour éradiquer toute protestation

Parler de peur n’est pas quelque chose de très évident ni de très courant dans notre société patriarcale. Et c’est justement à travers la place stigmatisée de cette émotion, pourtant très utile, que la domination du système se joue.

La peur est un mécanisme de survie inné

Si on s’en réfère aux théories darwiniennes du rôle de la peur dans l’évolution des espèces, c’est une émotion qui intervient en présence d’un danger et qui invite la personne qui la ressent à se mettre en action pour se protéger. Donc s’il y a peur, c’est qu’il y a danger ; et s’il y a danger, il y a besoin de protection.

Par exemple, si je vois un ours, j’ai peur, car je peux me faire déchiqueter la tête, et la protection dont j’ai besoin c’est une cachette (du coup je cours me planquer). Là, on est sur un danger matériel, réel et immédiat, mais le danger peut tout autant être symbolique, immatériel ou projeté.

Dans Usual Suspects, Keyser Söze nous dit que “Le coup le plus rusé que le Diable ait jamais réussi, ça a été de faire croire à tout le monde qu’il n’existe pas”. Dans notre société actuelle, je pense que l’on peut aisément affirmer que le coup le plus rusé que le capitalisme ait jamais réussi, ça a été de faire croire qu’on était en danger quand on ne jouait pas son jeu.

La soumission est l’un des trois réflexes de sauvegarde face à la peur

Le système actuel fonctionne majoritairement, si ce n’est quasi-intégralement, sur un rapport de domination. Lui-même alimenté par la peur des dangers qui sont placés au-dessus de la tête de ceux qui le composent. Ces dangers sont systémiques, institutionnels et prennent des formes aussi variées que subtiles avec lesquelles jouent celles et ceux qui tiennent les manettes de la domination.

On a peur de perdre son emploi et de ne plus avoir les moyens financiers de se loger, se nourrir et se soigner. On a peur de participer à une manifestation et de se retrouver arrêté.e, blessé.e voire mutilé.e sans être protégé.e par le système pénal et judiciaire.

Le capitalisme : marionnettiste de nos peurs

Le capitalisme, non content de dominer par l’argent, matière dont sont faits ses rouages, a passé un cap depuis plusieurs années en ajoutant à la liste des dangers celui de la violence de la répression qu’il impose à celles et ceux qui oseraient lui faire face.

Rien d’étonnant à cela. Le fonctionnement dans lequel nous évoluons à ce jour est celui où le système choisit l’espace et le temps autorisés pour la contestation. S’y tenir, s’y contenir même, c’est jouer avec le système et en respecter les conditions.

À partir du moment où l’on prend la liberté de choisir son propre espace et son propre temps de contestation, le système entre en phase de répression. Dom Helder Camara, évêque catholique brésilien, a d’ailleurs rédigé un texte célèbre sur les trois formes de violence. Ici, Illustré en vidéo par Besancenot.

Le soin militant pour contrer la peur

Violence. Danger. Domination. Voilà comment s’articulent les éléments du système dans lequel nous vivons et que nous souhaitons critiquer, questionner, provoquer, voire renverser. Nous sommes dominé·es par un système qui instille la peur, et les violences qu’il nous fait subir alimentent le danger de manière permanente.

Et tout cela, je le ressens de manière particulièrement palpable en regard de la préparation de la mobilisation du 10 septembre, et c’est de cela dont j’aimerais pouvoir parler ici.

C’est OK d’avoir peur

Cette mobilisation fait grand débat et j’ai pu assister, en direct ou via les réseaux sociaux, à des échanges parfois virulents au sein desquels je diagnostique avant tout l’expression de peurs individuelles et collectives.

Des peurs en pagailles, mais toujours légitimes

En vrac, et sans ordre d’importance, j’ai noté :

  • La peur de certaines femmes de se faire harceler et agresser durant les rassemblements.
  • La peur d’une partie de la communauté handie de ne pas voir leurs revendications sur la loi de fin de vie prises en compte.
  • La peur de la récupération de l’événement par l’extrême droite.
  • La peur de certaines personnes racisées de se retrouver nez à nez avec des fachos et de se faire attaquer.
  • La peur de personnes de la communauté LGBTQIA+ d’être pris pour cible durant les événements.
  • La peur de l’inutilité de l’action en regard de l’énergie mise en jeu, etc.

De manière générale, et c’est un principe dans lequel je crois, si on ne va pas faire une action qu’on a envie de faire, c’est qu’il nous manque quelque chose. Soit c’est de l’ordre de la ressource, soit c’est de l’ordre de la protection.

Concernant la mobilisation du 10 septembre, les freins que j’ai pu entendre et lire démontrent qu’il y a tout un panel de peurs qui sont en place, et de manière légitime puisqu’elles sont vécues par les personnes qui les partagent. Pourtant, il existe de nombreuses choses à mettre en œuvre pour les lever. Dont le soin militant.

Militer ne doit pas être un sacrifice

Pour revenir aux Sans-Culottes, il me semble important de sortir toute forme de sacrifice de la démarche militante. Au-delà du fait que c’est un concept beaucoup trop judéo-chrétien pour avoir sa place au sein d’une démarche de révolte et de résistance citoyenne, il me semblerait tout à fait inopportun d’exiger de qui que ce soit qu’il se sacrifie pour la cause qu’il défend.

La glorification des martyrs est selon moi une autre manifestation de la domination par la peur que le système s’amuse à jouer devant nous : si vous vous engagez, vous allez forcément souffrir et il faut être prêt à y laisser sa vie. Balivernes !

Le courage, c’est de ne pas se mettre en danger

Pour faire référence à la culture littéraire de mon enfance, je me permets de vous parler de Monsieur Courageux de la collection Monsieur/Madame (de chez Hachette malheureusement, bouh Bolloré, bouh).

Le personnage principal, qui est courageux vous l’aurez deviné à son nom, rencontre pléthores de ses camarades qui lui proposent des défis tout aussi périlleux que spectaculaires. Il y répond avec enthousiasme, ce qui amène chacun des autres personnages à confirmer que “oui oh lala il est vraiment courageux ce Monsieur Courageux”.

Jusqu’à ce qu’il croise Madame Canaille et que celle-ci l’invite à faire un truc vraiment très dangereux. Ce que Monsieur Courageux refuse. Madame Canaille, avec le tact et la bienveillance que son patronyme implique, se moque donc ouvertement de lui. Ce à quoi il répond “je suis peut-être courageux, mais je ne suis pas bête”.

Avoir le courage militant, ce n’est donc pas se forcer à se mettre en danger. C’est complètement ok d’avoir peur, la question qui se pose c’est de savoir ce qu’on fait de tout cela.

Première étape du soin militant : identifier ses besoins

On dirait le titre d’un roman feel-good de développement personnel de l’été, et pourtant c’est ce qui semble le plus judicieux à faire.

S’il y a une peur, c’est qu’il y a un danger, et donc s’il y a un danger, c’est qu’il y a un besoin de protection. Ce besoin de protection peut prendre des formes très différentes en fonction des individus et des contextes, et pour que ça puisse être pris en compte, il faut déjà que ça puisse être nommé donc identifié.

Mon propre besoin : ne pas me sentir seule

Je suis arrivée à Saintes il y a moins de 4 mois, je ne connais personne. Dans la ville où j’habitais auparavant (dans la région Nantaise où la violence de la répression est une tradition bien trop respectée par les forces de l’ordre), j’étais très investie dans le militantisme, notamment local, et c’est quelque chose dans lequel j’ai envie de continuer de m’engager ici.

Et bien entendu j’ai peur, car je me sens seule et que je n’ai pas d’allié.e.s, contrairement à là où je résidais avant. Ce dont j’ai besoin pour me sentir rassurée et pouvoir avoir le courage de m’investir, notamment en regard du 10 septembre, c’est donc de rencontrer des gens, d’avoir un entourage sécurisant et des personnes vers qui me tourner si j’ai des problèmes. Voilà mon besoin de protection.

Note de la rédaction
Il existe à Saintes de nombreuses associations et collectifs qui permettent de ne plus se sentir seul·e. Le Réseau de Résistance Citoyenne en fait partie. Face à la montée de l’extrême droite, ne restez pas seul·e. Rejoignez le RRC !

Il existe une multitude de besoins : protection financière, anticipation des risques, etc.

Les caisses de grève sont la réponse à un besoin de protection financière en cas de mobilisation et de grève. Les déclarations en préfecture des manifestations sont la réponse à un besoin de se protéger d’une riposte qui voudrait interdire les événements.

Les communications en amont, par exemple pour donner des rappels de la loi et des listes de noms d’avocats à évoquer en cas d’arrestations, sont des réponses à des besoins de protection identifiés face à des risques ciblés.

La préparation d’une mobilisation, ce n’est pas que réfléchir à ce qu’on va faire, c’est aussi anticiper le comment en intégrant les risques, donc les dangers, et en mettant en place des éléments pour nourrir le besoin de protection d’un maximum de participant.e.s.

Donc pour que ça puisse être fait et bien fait, écoutons nos peurs, écoutons celles des autres, et utilisons-les pour cadrer les événements de la meilleure manière possible.

C’est, selon moi, la grande valeur ajoutée de l’Assemblée Générale proposée le 29 août, car justement cela se fait en Assemblée.

Assemblée générale du 29 août à Saintes

Deuxième étape du soin militant : se reposer sur la communauté

La grande force d’un mouvement citoyen et populaire, je pense, c’est qu’il a la possibilité d’incarner l’objectif dans le chemin qu’il parcourt. Je m’explique.

Faire du lien et remettre la solidarité au cœur de notre société

Face à un système individualiste, basé sur l’oppression et la domination (rendues possible grâce aux leviers de la menace et de la violence), il me semble que nous cherchons à construire quelque chose de plus solidaire et de plus équitable. Quelque chose de durable reposant sur un “vivre ensemble” sain.

Il me semble également que nous cherchons justement à déconstruire toute la mécanique qui est elle-même la source de la difficulté à nous organiser pleinement pour une révolte efficace, à savoir les clivages, les peurs, les méfiances, les jeux de pouvoir.

Nous avons donc une formidable opportunité en regard du 10 septembre de mettre en place une mobilisation qui est le reflet de la société que nous espérons un jour édifier sur les ruines de ce capitalisme injuste et meurtrier. À savoir un fonctionnement de soutien, d’entraide et de soin.

Le soin militant, c’est aussi comprendre les besoins des autres

Car le soin militant c’est cela : c’est s’accorder le temps de comprendre ce dont on a besoin pour prendre soin de soi, et c’est comprendre que nous sommes, chacun et chacune, une ressource de soin pour les autres. Nous sommes plusieurs, nous sommes différents, et nous sommes capables de créer un équilibre au sein duquel chacun et chacune contribue pour les autres (comme nos services publics que le gouvernement actuel saccage passablement).

Nous pouvons l’incarner dans notre manière de nous positionner contre le système, et pas seulement dans la cible que nous visons. Nous n’allons pas seulement changer le système, nous allons lui montrer comment il est bon de faire les choses ensemble.

Un souhait : un soin militant commun à Saintes

Pour terminer mon propos, pas de Superman ou de Monsieur Courageux, juste un peu de vulnérabilité en vous partageant ce que j’ai à cœur de vivre en rejoignant le mouvement le 29 août dans la perspective du 10 septembre.

J’espère avoir la possibilité de rencontrer des gens et créer cette alliance qui me mettrait en sécurité dans ma nouvelle vie saintaise.

J’aimerais bien sûr que cette Assemblée Générale soit l’occasion d’organiser le mouvement. Mais surtout qu’elle permette à chacun et chacune de partager ce dont il a besoin pour y aller, afin que la communauté puisse y répondre en se préparant et en se consolidant autour d’un soin militant commun.