Joseph-Ignace Guillotin, la figure oubliée de Saintes

Docteur Guillotin

Oubliée ? Pas tout à fait. Si vous demandez dans la rue qui était le ’’Docteur Guillotin’’, vous aurez immanquablement la réponse : « C’est l’inventeur de la Guillotine ». Ce qui est faux, archi-faux ! Grande figure de la Révolution Française, il était à l’époque reconnu pour ses convictions anti-royalistes et égalitaires. La Guillotine Saintaise vous en dit plus sur cet illustre personnage qui s’est battu toute sa vie pour la justice.

Docteur Guillotin, médecin et homme politique

Joseph-Ignace Guillotin est né à Saintes en 1738. Il suit des études de médecine à Paris, où il apprend puis enseigne l’anatomie, la physiologie et la pathologie.

Parallèlement, et par le biais de la Franc-Maçonnerie, il s’intéresse à la politique et s’inscrit dans le mouvement montant pour l’abolition des privilèges, inhérents à la monarchie, et pour l’institution de la démocratie par une majorité de représentation du tiers-état au Parlement de Paris.

En 1788, le Docteur Guillotin lance la toute première pétition de l’histoire. Ses prises de positions le conduisent à être jugé, et condamné à ne pas diffuser cette pétition historique, qui finira par être validée par le Conseil d’État !

C’est comme député qu’il réunira dans la salle du Jeu de Paume, contre la volonté du pouvoir royal, les acteurs qui s’engageront à mettre fin à l’ancien régime, à former une Assemblée Nationale Constituante – dont il devient secrétaire -, à rédiger la Déclaration des Droits de l’Homme et la toute première constitution de la République en devenir, afin de transférer le pouvoir détenu par le roi, à la Nation.

Le Docteur Guillotin et la révolution des esprits

Guillotin se bat également pour l’égalité des citoyens face à la justice. Il milite pour qu’un traitement équitable soit appliqué pour une même faute, quelle que soit la provenance sociale ou familiale du condamné, et ce jusqu’à la peine capitale, en supprimant les souffrances inutiles.

Il reste médecin dans l’âme et s’offusque de voir que les nobles ’’bénéficient’’ d’une décapitation au sabre, alors que les roturiers le sont à la hache ou pendus, que les hérétiques sont condamnés au bûcher, que les voleurs subissent le supplice de la roue et que les faux-monnayeurs finissent bouillis vifs ! 

Farouche partisan de l’abolition de la peine de mort, il va également œuvrer pour alléger les souffrances des condamné·es. Il revendique une peine capitale unique pour toutes et tous qui provoquerait le moins de douleur possible, en réduisant le rôle de bourreau à ’’exécuteur des Hautes Œuvres’’.

À noter que Louis XVI avait déjà abrogé la ’’question préparatoire’’, qui instituait la torture comme technique pour obtenir des aveux (qui sera pourtant encore pratiquée des décennies durant !).

Guillotin modifie donc le Droit Pénal, dans lequel ’’les délits de même genre seront punis par les mêmes genres de peine, quels que soient le rang et l’état du coupable’’. Il sera à l’origine du fameux article unique ’’La peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu’il puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés[…] Tout condamné à mort aura la tête tranchée’’. Point final (si je peux dire…)

L’inventeur d’une solution technique égalitaire

C’est à un collègue chirurgien, Antoine Louis, que notre Docteur Guillotin confie la tâche de mettre au point ’’la machine la plus apte à la décollation sans l’intervention principale de l’homme’’. Celui-ci, s’inspirant de la ’’doloire’’ germanique du XVIe siècle, qui permettait des mises à mort sans souffrance, propose un prototype, avec l’aide technique d’un facteur de clavecins et d’un architecte (!!).

« Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point. La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus » aurait déclaré le Docteur Guillotin.

Elle sera mise en service pour la première fois le 25 avril 1792, pour un homme condamné pour agression et vol. L’appareil, sera baptisé de plusieurs surnoms, dont ’’Louisette’’ ou ’’petite Louison’’ (du Docteur Louis).

Victime d’injustice et de diffamation

Alors pourquoi ce sobriquet de ’’guillotine’’ ? Ce sont des éditorialistes royalistes qui l’ont inventé, alors que le Citoyen Guillotin, organisateur des séances parlementaires, était déjà la cible des railleries de la presse d’opposition. La belle aubaine pour ses détracteurs que cette machine à faire tomber les têtes ! Le choix de la décollation comme unique peine est également dénigré par ses adversaires qui la dénonce comme « un supplice d’aristocrate et pas assez honteux ».

Le Docteur Guillotin subira cette diffamation jusqu’à la fin de ses jours . Voir cet appareil porter son nom, alors qu’il s’est battu toute sa vie contre la peine de mort était un supplice pour lui. Ce philanthrope, qui n’avait qu’un seul but : diminuer les souffrances et les inégalités humaines, l’a, hélas pour lui, trop défendue, pensant faire œuvre de salut public.

Robespierre guillotinant le bourreau après avoir fait guillotiner tous les Français. Source Gallica.

Désabusé, le Docteur Guillotin se détourne de la politique

L’usage intensif de l’ustensile qu’il avait voulu bénéfique pour les justiciables, l’intensivité exponentielle de la violence lors des évènements révolutionnaires qui suivirent l’instauration de la République le feront s’éloigner de la vie politique qu’il avait idéalisée.

Il reprend son métier de médecin comme activité principale, promouvant la vaccination contre la variole, portant le premier programme de santé publique français et créant les bases de l’Académie de Médecine.

Il dénoncera jusqu’à sa mort l’usage qui est fait de l’appareil et le surnom qui lui est attribué, en qualifiant la guillotine de ’’tache involontaire de sa vie’’… Il meurt, sans enfant, d’une infection à l’âge de 75 ans (on était plus d’un siècle avant l’avènement des antibiotiques).

Vers une ’’réhabilitation’’ du Docteur Guillotin ?

Victor Hugo disait : « Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte ; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention. »

Humaniste, médecin, démocrate utopiste, Joseph-Ignace mérite qu’on reconnaisse les apports qu’il a fait à l’éclosion de la République et à l’abolition des privilèges de la monarchie, par sa vision libérale et progressiste.

Sa devise, tirée d’Horace (je vous fais grâce de la version latine) : « Mes soins et mes interrogations sont à la recherche de la vérité et de l’harmonie, et je n’ai pas d’autre but ». Elle est ainsi gravée sous le portrait du ’’Bon Docteur Guillotin’’ conservé à la Bibliothèque Nationale de France.

CIVI OPTIMO : À un illustre citoyen.

Qu’en est-il à Saintes, ville natale du Docteur Guillotin ?

Connaissez-vous la rue Guillotin à Saintes ? Au cœur d’un quartier pavillonnaire, elle côtoie les noms des révolutionnaires que notre Docteur a croisés dans sa vie politique : Danton, Desmoulins, Fabre d’Églantine, Robespierre…

Mais ses habitants sont-ils fiers de décliner leur adresse ? N’est-il pas temps de redorer l’image du plus célèbre des Saintais ? Car le nom de Joseph-Ignace Guillotin parle tout de suite à notre mémoire collective.

Et ce, bien plus que ceux de Pierre Barthélemy Amable Honoré Gallocheau, d’Alcide Charles Jean d’Orbigny, de Léopold Augustin Charles Pallu de la Barrière, de Guy Napoléon Taittinger, ni de la famille de Brémond d’Ars (Théophile et Pierre-René-Auguste), des Lemercier (Augustin, Jean-Baptiste ou Louis-Nicolas), ou de Charles-Paul Sagot du Vauroux.

Parce que le pouvoir en place s’attellera toujours à bafouer l’image des humanistes, à La Guillotine Saintaise, on mettra toujours tout en œuvre pour réhabiliter les héros d’hier et d’aujourd’hui. À commencer par le Docteur Guillotin, dont on est fier·es d’arborer le nom de la première machine pensée pour abolir les injustices !